LinkedIn, terrain miné de l’illusion relationnelle
Sur LinkedIn, le mot interaction est partout. Il s'affiche dans les Dashboard, s’infiltre dans les pitch commerciaux, s’invite dans les stratégies de growth comme promesse implicite de lien. Mais qu’interagit on vraiment lorsque l’on clique, like, commente ou envoie un message générique à cent inconnus ? Ce que l’on nomme « interaction » n’est bien souvent qu’une projection vide, une trace automatisée dans une mécanique statistique qui confond la donnée et la relation.
Ce texte est né d’un constat simple mais vertigineux : après avoir investi des outils, des scripts, des IA, des centaines de paramètres comportementaux, on en revient à l’essentiel — parler à quelqu’un, vraiment. Et c’est peut-être là, dans ce retour à l’adresse singulière, que se joue la dernière forme de différenciation commerciale digne de ce nom.
À travers une analyse rigoureuse des formes d’apparition sur LinkedIn, de la fausse interactivité des bots aux vraies scènes de reconnaissance, ce manifeste propose de réhabiliter une stratégie d’attention, lente, qualitative, irréductible à l’automatisation — mais extraordinairement féconde en valeur.
I. Repenser l’interaction sur LinkedIn : du clic à la scène relationnelle
Dans l’écosystème professionnel de LinkedIn, le mot « interaction » est devenu un terme fourre-tout, souvent réduit à un like, un commentaire ou un message. Pourtant, une interaction réelle ne peut se limiter à une trace ou une statistique. Elle suppose une scène, un cadre, un engagement minimal de reconnaissance.
Inspirée par les travaux d’Erving Goffman sur le « setting » interactif, cette approche invite à considérer LinkedIn comme une scène sociale où chaque geste visible (vue de profil, like, commentaire, message) produit une forme d’apparition — mais pas nécessairement de relation. La vraie question est donc : à quel moment une interaction commence-elle vraiment ?
Accepter un contact n’est pas une interaction, mais une autorisation.
Liker est un signal faible, souvent automatisable.
Commenter est le premier acte d’adresse engageante.
Envoyer un message contextualisé ouvre une véritable dynamique relationnelle.
Le déclencheur d’une interaction réelle, c’est la reconnaissance de l’autre comme sujet d’échange.
II. Les nouvelles modalités d’apparition : de l’avatar au clone conversationnel
Aujourd’hui, l’interlocuteur sur LinkedIn n’est plus nécessairement un humain. Bots conversationnels, clones vocaux, avatars IA, messages automatisés — la scène relationnelle est peuplée de simulacres. Cela brouille la perception de l’interaction et pousse à redéfinir le cadre de confiance.
L’enjeu n’est plus de savoir si quelqu’un parle, mais qui parle, pour qui, et dans quel cadre intentionnel. Une interaction simulée n’est pas nécessairement dénuée d’effet, mais elle pose une question cruciale : peut-on créer une relation sans reconnaissance réciproque ?
Derrière chaque message, chaque prise de contact, se joue la crédibilité de la présence. Et donc, la possibilité d’une relation commerciale.
III. Le déplacement vers la statistique : l’interaction comme taux de réponse
Face à la difficulté de susciter des interactions vraies, la plupart des stratégies d’acquisition sur LinkedIn se replient sur une logique probabiliste. L’idée est simple : envoyer massivement un message semi personnalisé, en espérant que 2 % répondent.
Mais ce réflexe statistique produit une économie du bruit :
L’interlocuteur est réduit à une variable dans une base.
La personnalisation devient cosmétique (prénom + entreprise).
La réciprocité est dissoute dans la masse.
Ce que l’on appelle « interaction » devient un simple taux de clic, un signal d’ouverture, ou un rdv obtenu par défaut.
Or, cette approche produit un paradoxe majeur : plus on interagit en volume, moins on est perçu comme présent.
IV. Cibler, ou l’art de parler à quelqu’un (et pas à un segment)
Et nous voilà revenus à un geste presque sacralisé : l’adresse singulière. Non plus viser une catégorie, mais viser une personne. Le ciblage véritable n’est pas un filtrage. C’est une scène mentale où l’autre devient visible.
Ce retour à la singularité est la clé de toute stratégie relationnelle authentique. Car parler à quelqu’un, vraiment, suppose trois niveaux d’engagement :
Le voir : repérer un contenu, une activité, un geste public.
Le considérer : créer un message qui résonne avec ce qu’il est.
Lui proposer une expérience : une conversation qui vaut le détour.
Tout cela repose sur une préparation, un alignement, une sincérité. Bref, une stratégie.
V. Le destinataire comme centre de l’expérience
Et si, au fond, l’enjeu commercial résidait moins dans le message que dans l’expérience vécue par celui qui le reçoit ?
Cibler quelqu’un, ce n’est pas juste maximiser ses chances de vendre. C’est créer une expérience de reconnaissance qui transforme la perception de l’émetteur. Une bonne interaction provoque chez l’autre :
Une sensation d’être vu (ce que je fais a été remarqué).
Une sensation d’être considéré (je ne suis pas un contact parmi d’autres).
Une envie d’entrer en relation (la conversation m’apparaît féconde).
L’interaction devient alors le déclencheur d’un parcours relationnel. Elle n’est plus un levier, mais un moment d’image, de confiance, de possibilité.
VI. Vers une stratégie d’attention singulière
Ce que tout ce détour — théorique, critique, technique — nous montre, c’est ceci :
Ce que LinkedIn appelle "interaction", ce n’est pas un clic. C’est une scène. Une adresse. Une chance.
Et stratégiquement, les meilleurs résultats viennent souvent de ceux qui comprennent que :
Une interaction faible ne vaut rien sans suite.
Un message qui cible un segment est oublié.
Un message qui cible une personne peut transformer une perception.
En somme, cibler, c’est aujourd’hui le dernier luxe commercial. Non pas pour isoler, mais pour créer une scène de rencontre, de confiance, de qualité.
Et cela, aucun bot, aucun script, aucun taux de conversion ne pourra jamais le fabriquer.
Ce que cette réflexion dévoile, au-delà des pratiques commerciales, c’est un basculement profond dans notre rapport à la présence. Interagir sur LinkedIn ne peut plus être réduit à un KPI, un clic, une chaîne d’automations. Il s’agit d’un acte d’apparition. D’une scène où se rejoue la possibilité d’un échange réel, incarné, risqué parfois — mais porteur de reconnaissance.
L’enjeu n’est donc pas simplement de mieux cibler, mais de changer le contrat relationnel implicite. Faire de chaque interaction une expérience. De chaque message, une adresse. De chaque silence, une opportunité de créer du sens plutôt que du bruit.
Dans un monde saturé d’interfaces, la vraie singularité devient d’être présent. De regarder avant de parler. De viser une personne, et pas une variable.
Ce n’est pas moins stratégique. C’est plus radical.
Parce que dans le tumulte des flux et des leads, ceux qui parleront juste, à juste titre, à juste personne, seront les seuls à encore être écoutés.


